Rencontre avec Laure-Hélène Césari

Lauréate du Prix de l’adaptation en sous-titrage d’une série audiovisuelle

Vous avez reçu un prix ATAA pour l’adaptation de la série Brassic dont l’une des principales difficultés est le langage argotique. Avant la création d’Urban dictionary et d’autres outils en ligne, comment aurait-il été possible de traduire Brassic ?

Je pense qu’il aurait fallu un contact en Angleterre pour valider le sens de certaines phrases. D’autant que les personnages de Brassic bidouillent différentes expressions. Grâce à Urban dictionary, il est possible de retrouver des doubles, voire des triples sens. Ces personnages très vivants, qui parlent entre eux de manière codée, sont un véritable challenge à traduire, mais j’adore ça ! On vit vraiment avec eux. On est témoin de leur vie de tous les jours. J’aime aller chercher le terme le plus précis possible, sans que cela soit trop daté afin que la série puisse être regardée dans le temps, et sans perdre le spectateur en utilisant des expressions inconnues.

Peut-être qu’à une certaine époque, une telle série n’aurait jamais été diffusée à l’international. Il s’agit d’un programme atypique, pas du tout mainstream. Même aujourd’hui, peu de gens la connaissent autour de moi. Il faut dire que cette série déjantée à l’humour scatophile n’est pas très engageante de prime abord. Il faut s’y plonger. Avec Mona [Guirguis, co-lauréate du prix ATAA], nous en avons bavé sur la première saison. Il a fallu trouver nos marques. Personnellement, je me suis constitué un fichier Excel avec une série d’insultes, de petites phrases d’argot, ou d’expressions, qui reviennent souvent et pour lesquelles il faut varier les traductions. Il a fallu aller chercher des expressions françaises un peu détournées, mais tout aussi fleuries. De ce point de vue, le dictionnaire Bob est aussi extrêmement pratique.

Crédit photo : Brett Walsh

Avec Mona Guirguis, vous avez traduit les 6 saisons de Brassic. Est-ce qu’à l’image des acteurices qui finissent par ressembler à leur personnage, votre manière de parler a été influencée par cet argot ?

Spontanément, j’aurais répondu que non. Mais, en y réfléchissant, je reconnais que je me suis surprise à parfois écrire de manière orale dans mes mails ou dans des conversations écrites, par exemple, en négligeant de marquer la négation dans mes phrases. Et de fait, je dois davantage me relire. Possible que cela soit dû à mes immersions d’un à deux mois dans ce contexte familier d’une bande de copains. On peut dire que cela a une petite incidence.

Si vous aimez ce genre de séries, demandez-vous aux chargé·es de production de vous en confier d’autres ?

Il n’est pas toujours bien vu d’exprimer des souhaits. Une telle démarche n’aurait rien d’évident. Cela dépend vraiment des interlocuteurices. Les labos qui occupent une grande place dans notre métier, ne nous laissent souvent aucune marge de négociation. Notamment dans le secteur du sous-titrage, aujourd’hui trop souvent déconsidéré. On nous propose un programme avec une deadline et une rémunération. C’est à prendre ou à laisser. Il est rare qu’on nous demande nos tarifs et nos disponibilités. Mais quand ça arrive, on apprécie ! Parfois, les délais sont surréalistes, nous obligeant à négocier, voire à rééduquer les clients. Mais si nous refusons, un·e autre auteurice prendra le programme quoi qu’il arrive. Aussi, c’est à nous de savoir ce que l’on est prêt à accepter – comme travailler la nuit ou les week-ends – et quel est notre tarif minimum, quelles sont nos limites.

Comprenez-vous pourquoi les relations avec les labos se passent ainsi ?

Dans un sens, je comprends, et dans un autre, je ne comprends pas. J’ai commencé ma carrière en free-lance avant d’être engagée pour monter un service de sous-titrage, dans le labo où j’avais réalisé mon stage de fin d’études. Par la suite, cette entreprise a été rachetée par Dubbing Brothers où je suis restée cinq ans. En tant que chargée de production, j’avais toujours en ligne de mire l’intérêt de l’auteur et du free-lance. Je me battais quand le client demandait des baisses de tarif. Il m’arrivait d’obtenir de petites victoires – malheureusement, pas toujours. Il y a un réel intérêt à ne pas baisser les rémunérations : respecter les auteurices et leur travail.

Le métier de chargé·e de production a aussi énormément évolué.

En effet, depuis l’arrivée de la VOD, il y a davantage de pression et aussi beaucoup plus de process. L’exigence des clients a énormément augmenté. Avant, ces derniers nous faisaient confiance. Ils réalisaient une rapide vérification ou une relecture, et ça roulait. Aujourd’hui, certaines multinationales américaines exercent beaucoup plus de contrôle, au travers de petites tâches annexes non rémunérées. Désormais, nous avons la sensation de devoir toujours tout justifier. Ces process n’ont pas de sens pour nous Français. Par exemple, quel sens y a-t-il à nous demander le résumé d’un programme un mois après la fin de son adaptation ? Ou à remplir des fichiers Excel à foison ?

Vous avez collaboré au collectif sous-titrage qui a représenté les auteurices auprès des labos. Qu’en est-il ressorti ?

J’ai participé à deux rendez-vous avec des laboratoires. Le premier, Nice Fellow a accepté de réévaluer ses tarifs, même si ce n’était pas suffisant. Nous leur avons expliqué que nous avions besoin d’être soutenues par eux auprès des commanditaires – diffuseurs et plateformes – ils nous ont entendus, seulement ce laboratoire a fait faillite. Quoi qu’il en soit, je maintiens qu’un vrai dialogue tripartite entre les commanditaires, les labos et les adaptateurices (tous les maillons de la chaîne) doit s’instaurer afin de chercher ensemble des solutions. C’est une évidence. Car il est essentiel que tout le monde puisse s’y retrouver.

Le deuxième rendez-vous a eu lieu avec Dubbing Brothers. Nous avons été reçues et écoutées. C’est un point positif, car tous les labos n’ont pas accepté. Cependant, ils connaissaient déjà notre situation et nous n’avons rien obtenu. Selon eux, il était difficile de demander aux clients d’augmenter leurs tarifs. Malheureusement, pour certains clients, le sous-titrage reste souvent le parent pauvre de l’adaptation.

Longtemps élue au Snac, votre engagement militant n’est plus à prouver. Pourquoi est-ce essentiel ?

La défense de nos conditions de travail et l’exigence qualitative des adaptations passeront nécessairement par la mobilisation des auteurices. Nous ne pouvons pas attendre que notre métier change. Il faut se mobiliser. D’autant que nous avons quasiment atteint un point de non-retour. Évidemment, l’ATAA et le Snac sont indispensables à cette mobilisation. Mais combien de bénévoles cela représente-t-il ? Une trentaine de personnes sur les plus de 600 membres de l’ATAA ? Le problème est que les gens se plaignent, mais ne s’engagent pas. Or, il est possible que chacun s’investisse en donnant un peu de son temps ou même en faisant un don à notre association.

Quelle autre forme peut prendre l’engagement de chacun·e pour la profession ?

Quand un labo vous propose de traduire une saison 4, 5 ou 6 d’une série, demandez-vous pourquoi. Les auteurices ont-iels été évincé·es ? Ou se sont-iels retiré·es du projet ? Par solidarité, il faudrait refuser ces propositions. Si tout le monde joue le jeu, la profession aura encore plus de poids. Malheureusement, il y aura toujours des personnes pour accepter des tarifs bas. On nous rétorquera que ceux et celles qui acceptent ces programmes ont besoin de travailler. Mais avec un peu de recul, est-ce une bonne raison ? En début d’année, j’ai refusé l’intégralité d’une mini-série alors même que je n’avais pas de projet en cours, car le tarif s’avérait trop bas. J’ai préféré refuser plutôt que de travailler au rabais. J’estime que je vaux mieux que ça, et que nous, adaptateurices, valons mieux que ça.

Que conseillerait Vinnie, ce personnage si attachant de Brassic ?

Vinnie se révèle autant un loser qu’un winner. Il dirait qu’il faut se battre, qu’il faut avancer. Cela fait un mois que je ne travaille pas, mais je préfère rester optimiste. Au quotidien, je fais le choix du lâcher-prise, je ne me laisse pas ronger par le stress. Cela demande trop d’énergie. Je me dis que le travail arrivera. Et s’il faut que se battre, on se battra !

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