
Le jury a salué la perfection de votre synchronisme et qualifié de « génialissime » votre adaptation des poèmes cités dans Empire of Light. Selon vous, quelle est votre force dans ce métier ?
Très probablement, mon sens du dialogue. Depuis toujours, j’ai une passion pour l’écriture et l’écriture de dialogues en particulier. À 11 ans, j’étais déjà passionnée de poésie. Chaque soir, j’inventais des histoires que je me racontais en vers. Cela m’amusait. Le lendemain, je les retranscrivais dans un recueil de poésie. Je lisais beaucoup. Je viens aussi d’une famille d’intellectuels qui baigne dans le cinéma, la musique...
Pour Empire of light, Disney ne disposait pas des droits sur la traduction des poèmes, c’est pourquoi il a fallu une nouvelle adaptation. Quoi qu’il en soit, je me devais de faire table rase des traductions précédentes, car la synchro est une contrainte qui nous empêche de nous inspirer des autres.
Les langues font-elles aussi partie de vos atouts ?
J’avoue avoir des facilités en langues. Après avoir passé seulement un mois en Suède, j’étais capable de tenir une conversation du quotidien. Mais, l’anglais n’était pas ma langue de prédilection. Quand j’ai commencé l’adaptation audiovisuelle, mon niveau était même scolaire. Initialement, je suis germaniste. D’origine alsacienne par mon père, je suis née à Strasbourg où j’ai commencé l’allemand au CP et où j’ai grandi entourée de nombreuses langues. Du côté maternel, mes grands-parents corses qui étaient originaires de Tunisie parlaient couramment l’arabe. Ma grand-mère nous avait même appris La Cigale et la fourmi en arabe.
Mon arrivée dans le métier a commencé par la détection. C’est grâce à cet exercice – très formateur à tous points de vue – que je suis venue à l’anglais. Même si, pour réussir une adaptation, parler l’anglais est moins important qu’avoir le sens du dialogue en français. Après quelques années, on m’a proposé de passer à l’adaptation. J’ai débuté par des westerns avec Ronald Reagan. Après une période de latence due à une massive grève des comédiens, Dubbing Brothers qui venait d’ouvrir, m’a confié la traduction de L’Aigle et le cheval sous la direction artistique de Jean Barney. Depuis, j’ai collaboré de manière quasi-exclusive avec ce studio.
Avez-vous toujours travaillé dans l’adaptation audiovisuelle ?
J’ai commencé ma carrière en tant qu’assistante de réalisation. J’étais inscrite en fac de cinéma quand j’ai fait la connaissance de Rémy Grumbach [producteur et réalisateur de télévision, président de la Sacem de 2000 à 2003, ndlr], un ami de mon frère. Il savait que je voulais faire du cinéma. Mais plutôt que de me lancer dans de longues études, il m’a proposé de sauter directement dans le grand bain, en m’offrant un poste de stagiaire sur ses émissions de télévision, notamment celles de Patrick Sabatier. Rémy a été un mentor pour moi ! En parallèle, je me suis adonnée à l’écriture de scénarios, de courts-métrages et de clips vidéo. Pour l’anecdote, j’ai réalisé le clip de David & Jonathan pour leur célèbre titre Est-ce que tu viens pour les vacances ?, et ai été l’assistante de réalisation de Michaël Schock pour L’Enfant que je n’ai jamais eu de Mireille Mathieu. À l’époque, sur le plateau de l’émission C'est encore mieux l'après-midi, Gilles Amado m’avait surnommée « Christophine Dechavanette », car il m’arrivait de faire le filage en son absence. Mais finalement, je n’étais pas assez mégalo, ni assez « rentre dedans » pour ce milieu.
J’ai découvert le doublage en faisant la connaissance d’Henri Cégarra, dirigeant de Télétota, où travaillait Fred Taïeb. Lorsque j’ai compris que les métiers de l’adaptation pouvaient s’exercer de chez soi, je n’ai pas hésité ! Ce point s’est avéré crucial, car à l’époque, j’étais constamment en déplacement sur des tournages. Or, mes enfants devenaient ma priorité.
Qu’est-ce qui vous passionne dans l’adaptation ?
Mes clients savent que j’aime les challenges et les séries présentant des défis de traduction. Je m’ennuierais sur un programme comme Grey’s Anatomy qui ne présente aucune difficulté particulière. C’est pourquoi j’adore traduire des séries comme Dave qui raconte la trajectoire d’un rappeur blanc qui veut s’imposer dans le milieu, et dont le langage est alambiqué et complexe. J’aime tout ce qui a trait à l’humour ou encore les films d’anthologie car je suis très vigilante aux anachronismes de langage. Par exemple, la série Artful Dodgers – extension de l’univers de Charles Dickens – m’a demandé de reproduire le langage argotique et haut en couleur du 19e siècle. J’ai fait de nombreuses recherches et me suis beaucoup appuyée sur Les Mystères de Paris. C’est cette quête d’apprendre qui me porte.
En ce moment, je collabore avec Taric Mehani [comédien, DA et membre du jury cinéma 2025, ndlr] à une série polonaise dont l’histoire se déroule dans l’Allemagne de 1936. Je découvre combien cette langue slave est difficile du point de vue de la synchro. Je travaille à partir d’une traduction relais ; je reconnais qu’il y a une légère perte de sens mais ce qui compte réellement est la manière dont les dialogues vont être traduits en français. Nous ne sommes pas des traducteurs, mais des adaptateurs. En français, nous devons rendre la justesse des dialogues en nous appuyant aussi sur les caractéristiques des personnages, le jeu des acteurs, l’expression de leur visage... Tout en gardant la couleur culturelle du pays en question. Cet aspect s’avère aussi essentiel.
En véritable sérivore, je regarde toutes les nouvelles séries. Je suis très critique : j’identifie tout ce qui ne doit pas se faire en adaptation. À l’inverse, cela me donne des idées. Et si certaines séries s’arrêtent, contre toute attente du public français, c’est parce qu’il me semble que certaines adaptations françaises se révèlent meilleures que la VO grâce à la qualité des dialogues et au jeu des comédiens de doublage. Alors que dans leur pays d’origine, ces séries sont des échecs.

Dubbing Brothers est l’un de vos principaux clients. Étiez-vous solidaire du collectif d’auteurices de doublage qui a négocié l’amélioration des conditions de travail ?
Oui, j’étais signataire de la lettre envoyée à Dubbing Brothers. Il y a quelques années, nous avions déjà fait une tentative qui s’était soldée par un échec. À l’époque, nous n’étions probablement pas assez nombreux pour cette action. Pendant un an, j’avais été persona non grata…
Comment voyez-vous l’avenir de votre métier ?
Sombre… Je crains que l’intelligence artificielle ne se suffise à elle-même dans les années à venir. Grâce au deepfake, l’IA peut réaliser des films ex nihilo, et cela dans toutes les langues. L’illusion est presque parfaite : seule la couleur de l’image permet parfois de se rendre compte qu’il s’agit d’une réalisation faite par IA. Mais cela reste subtile. Dans ces conditions, comment douter de ne pas finir concurrencés. D’autant que le doublage coûte cher. À ce jour, nous sommes sauvés par l’humour et les jeux de mots que l’intelligence artificielle comprend difficilement. Elle manque aussi de sensibilité. Mais d’ici cinq ans, le doublage aura disparu. Les adaptateurs ne seront sollicités que pour de la supervision de projets.
Précédemment, il fallait du talent pour donner forme à une idée. Aujourd’hui, grâce à l’intelligence artificielle, tout le monde peut avoir une idée et la faire réaliser par l’IA. Selon moi, cela finira par tuer la créativité. Il n’y aura plus de nouveautés. Les plates-formes ont largement contribué à cette surconsommation. Quand les spectateurs font des visionnages en accéléré, nous comprenons combien le consommateur est hypnotisé, totalement gavé. Du vrai fast-food ! Seul le spectacle vivant me semble capable de survivre à cette concurrence.