Rencontre avec Anne Fombeurre

Lauréate du Prix de l’adaptation en doublage d’un film d’animation

Vous avez reçu un prix ATAA pour les dialogues français de Marcel, le coquillage (avec ses chaussures), écrits en collaboration avec Abel-Antoine Vial. Comment avez-vous vécu ce moment ?

Le soir-même, je me suis sentie euphorique. Même si la vie quotidienne a vite repris le dessus, j’étais très heureuse de recevoir ce prix. En déclarant que le film semblait avoir été écrit en français, le jury nous a fait l’un des plus beaux compliments. Après la cérémonie, j’ai loué le film en VOD et ai regardé le début pour me replonger dans l’univers de ce petit personnage. J’espérais y retrouver le phrasé naturel et la sensation ressentie par les membres du jury.

Crédit photo : Brett Walsh

La version française de ce film d’animation est le fruit d’une écriture à quatre mains avec Abel-Antoine. Comment a commencé votre collaboration ?

En 2021, après le confinement dû à l’épidémie de covid, Abel et moi avons décidé de partager un bureau à Bagnolet : dans le cadre d’un bail de courte durée, une association proposait des locaux à des indépendant·es. Nous étions une dizaine de professionnel·les, comprenant des illustrateurices, des réalisateurices, etc. Depuis, nous sommes devenus une bande d’ami·es. Dans le contexte du couvre-feu de l’époque, se retrouver a eu un effet très positif. Et c’est ainsi que nous avons commencé à nous présenter comme entité à part entière aux laboratoires. Avec Abel, nous suggérions aux chargé·es de production de nous confier les mêmes séries, et nous nous relisions.

Lorsque nous travaillons à quatre mains sur un projet, nous avons, selon moi, deux fois plus d’idées ; nous nous potentialisons. Cela revient à réaliser un brainstorming à voix haute. Vocaliser fait la différence en comparaison d’un travail silencieux. Par ailleurs, cela m’enlève du stress, allège la charge et m’évite de tomber dans de fatigants raisonnements en boucle – auxquels j’ai tendance lors d’un travail solitaire.

Renonceriez-vous à ce bureau qui représente une charge financière ?

Je l’ai envisagé à une époque où je devais restreindre mes dépenses. Mais, même avec un loyer de 225 euros par mois dans nos nouveaux locaux de Montreuil, partager un bureau demeure un bon calcul. Je considère que cela me permet de mieux travailler. C’est un cercle vertueux. En partageant un bureau, nous partageons les mêmes problématiques professionnelles. Nous nous sentons moins seul·es, et nous trouvons toujours de l’aide lors de recherche de solutions. Par ailleurs, chaque matin en allant au bureau, j’ai la certitude que je vais passer une bonne journée et que nous allons nous marrer ! Enfin, cela nous offre de la flexibilité : si l’un·e de nous doit s’absenter, l’autre peut répondre aux mails et rester joignable sur les dossiers que nous avons en commun.

Évidemment, il arrive parfois que nous nous tapions sur les nerfs. Nous sommes comme un couple de travail, néanmoins nous avons toujours su désamorcer les tensions.

Votre collaboration est-elle aussi un bon calcul économique ?

Sur le plan personnel, je ne me suis jamais sentie aussi bien qu’en écrivant à quatre mains avec Abel, mais en réalité nous ne travaillons pas deux fois plus vite. Cela est probablement dû au temps que nous passons à discuter de la meilleure traduction, à débattre et à peaufiner nos dialogues. Or, ce mode de collaboration nous demande de partager nos rémunérations et nos droits d’auteurs. Il s’avère donc plus rentable de nous répartir les épisodes d’une même série que d’écrire ensemble. Cependant, nous privilégions les projets à quatre mains tant que cela nous est possible, et que les critères financiers ne prennent pas le dessus.

Néanmoins, notre binôme nous permet de bénéficier des propositions faites à l’un·e ou l’autre. Les client·es nous font confiance. Nous solliciter leur permet de gagner du temps et leur évite de chercher un·e deuxième auteurice.

Vos débuts dans le métier ont-ils été difficiles ?

À l’issue de mon stage de fin d’études chez AudioProjects, ce laboratoire barcelonais m’a immédiatement confié l’intégralité d’une longue série. Ce démarrage fulgurant m’a fait connaître l’hubris. Cependant, cet enthousiasme est rapidement retombé : je travaillais certes régulièrement, mais la rémunération ne représentait pas plus de 800 euros par mois. À l’époque, je vivais à Tours, et alors que j’étais sociable et pleine d’entrain, je me suis retrouvé enfermée chez moi à attendre du travail. Cela me rendait un peu amère. Néanmoins, je sentais que c’était véritablement le métier que je souhaitais exercer.

Que jugez-vous le plus difficile dans votre métier ?

Parfois, je me sens comme une mercenaire de la traduction. C’est fatiguant… En ce moment, je travaille sur une série pour laquelle je suis contrainte de travailler dans les bureaux de mon client. Je suis soumise aux horaires de l’entreprise. Par exemple, je ne peux pas travailler le week-end. Même si j’apprécie d’aller dans Paris, je n’aimerais pas que cela devienne une habitude, sinon cela s’apparenterait à un salariat déguisé. Or, il n’y a aucun intérêt à connaître les inconvénients du salariat sans ses avantages.

À l’inverse, quels sont les meilleurs moments pour vous ?

J’adore aller en plateau sur les projets que j’ai particulièrement aimés. Cela me rebooste. Cela permet de bénéficier de retours constructifs, et quelle satisfaction de voir nos textes incarnés ! Dans ces cas, je ne regrette pas tout le temps passé sur certaines phrases. C’est aussi gratifiant quand mon texte laisse la place au jeu des comédiens. Et, j’adore l’ambiance feutrée des studios. On se sent en vacances, comme dans une bulle.

Avez-vous toujours eu l’habitude d’aller en studio ?

Cela a commencé grâce à une rencontre. Lors d’une formation sur le logiciel Mosaic, j’ai fait la connaissance de Maï Boiron. C’était un moment où je commençais à me décourager, et Maï m’a permis de rebondir en me confiant ses vérifications et toutes ses astuces du métier. Elle a été très généreuse avec moi. Ce prix, je le lui dois aussi. C’est Maï qui m’a véritablement enseigné la synchro, m’a appris à jouer avec les appuis des acteurices, à ne pas seulement regarder la bouche, mais aussi les yeux… Je me suis désanglée en renonçant à mes réflexes de débutante et à mes phrases alambiquées au nom d’une sacro-sainte labiale. Maï m’a aussi présentée à ses contacts et m’emmenait en studio. Un jour, un DA m’a proposé de doubler la voix d’un adolescent pour deux ou trois lignes de texte. En allant signer mon contrat de comédienne dans les bureaux, j’ai échangé avec la chargée de production qui a fini par m’inviter à un pot de fin de plateau. Par la suite, elle m’a rappelée pour des projets. Autant dire que ces rencontres ont été déterminantes !

Crédit photo : Brett Walsh
Retour au blog