Rencontre avec Mona Guirguis

Lauréate du Prix de l’adaptation en sous-titrage d’une série audiovisuelle

Vous avez reçu le Prix ATAA pour l’adaptation de la saison 5 de Brassic dont vous avez traduit les 6 saisons avec Laure-Hélène Césari. Peut-on qualifier cette série de trash ?

En effet, cette série n’est pas à mettre entre toutes les mains. Brassic n’a aucune limite tant en termes d’images – on y voit du sang, des viscères, des morts qui explosent, etc. – que de vocabulaire. De prime abord, il s’agit d’un programme purement humoristique. On y suit les aventures de Vinnie et de sa bande de bras cassés. Bipolaire, il vit seul dans une caravane au milieu de la forêt, où il cultive du cannabis pour survivre. Lors d’une deuxième lecture, cette série s’avère plus profonde : on y découvre une fine observation des laissés-pour-compte de la société anglaise, une réflexion sur l’amitié, l’amour et l’humain en général. Les dialogues traitent également des traumas de l’enfance, des ravages de l’alcool, mais tout cela alors qu’un personnage a un bras enfoncé dans l’anus d’une vache…

Crédit photo : Brett Walsh

Une série aussi complexe aurait-elle rencontré son public si les sous-titres n’avaient pas été réussis ?

Difficile à dire… J’ai déjà vu des programmes mal doublés ou mal sous-titrés rencontrer un franc succès. Néanmoins, l’an dernier, par exemple, j’ai adapté pour le festival Séries Mania, deux épisodes d’une mini-série qui a reçu un prix. Aurait-elle pu recevoir cette distinction si les dialogues français avaient été mauvais ? Quoi qu’il en soit, l’idée est toujours de livrer la meilleure adaptation possible, de se mettre au service de l’œuvre.

Avez-vous une méthode de travail qui vous est propre ?

J’alimente chaque jour un gigantesque fichier dans lequel je note toutes les bonnes idées que je lis ou entends et qu’il serait utile de replacer lors d’une prochaine traduction. Je note aussi les meilleures traductions trouvées a posteriori. J’ai compilé des milliers d’expressions à intégrer à mon vocabulaire. Toutes ces informations sont classées par thème (par exemple « science-fiction », « jeunes des années 2020 », « bande de potes d’un milieu défavorisé »), par époque, par titre de série…

Aujourd’hui, nombre d’auteurices s’interrogent sur les capacités de traduction des intelligences artificielles. Quel est votre avis sur la question ?

À titre personnel, je suis de près l’actualité sur l’intelligence artificielle et, par curiosité intellectuelle, j’ai accepté la proposition d’un client institutionnel de relire des contenus traduits par IA. Il s’agissait d’un programme de formation vidéo – initialement sous-titré – pour lequel l’IA devait générer automatiquement l’adaptation et la voix. Avant d’investir dans un tel outil, ce client souhaitait en évaluer la qualité. Au début de ma relecture, j’ai trouvé le résultat bluffant. Les textes semblaient tenir la route. Mais dans un deuxième temps, je me suis rendu compte que c’était du charabia. La machine n’avait rien compris.

Pour moi, cela a représenté un travail pénible et éreintant. Mon propre rendu n’était pas de grande qualité non plus, et pas du tout rentable par rapport au temps que j’y ai passé. J’avoue que je n’aimerais pas être créditée pour un tel travail. Le résultat reste mauvais. Certaines parties de texte m’appartiennent, d’autres pas. Mais je ne me considère pas comme l’autrice de ce travail, alors que j’ai tout réécrit. J’ai pris le temps d’expliquer au client que le recours à cette technologie ne lui serait d’aucune utilité et allait à l’encontre de ses objectifs, à savoir aider les utilisateurs à se former. Après cet exercice, il m’est difficile de dire si l’intervention d’un auteur en post-édition justifie une rémunération en droit d’auteur.

Aux antipodes de l’IA, les prix de l’ATAA récompensent le travail humain. Qu’avez-vous ressenti en recevant ce trophée ?

Lors de la cérémonie, j’ai éprouvé une grande joie ! Brassic est une série très chère à mon cœur et j’étais ravie d’être récompensée aux côtés de Laure-Hélène. Mais, le lendemain, j’ai été prise de panique : je me suis dit qu’il y avait eu une erreur. Mon syndrome de l’imposteur a totalement pris le dessus et j’ai pensé que désormais, je n’aurais plus le droit à l’erreur. L’annonce de ma nomination m’avait déjà semblé absurde, car j’envisageais de quitter le métier, compte tenu de ma baisse d’activité depuis un an et demi. Mais ce prix me redonne aussi de l’espoir et l’énergie pour poursuivre dans cette voie. C’est comme un nouvel élan.

Crédit photo : Brett Walsh

Les demandes de revalorisation des rémunérations en sous-titrage ont échoué. Avez-vous déjà envisagé de vous lancer dans le doublage pour un meilleur équilibre économique ?

Je ne suis pas trop tentée par le doublage. Néanmoins, les conditions de travail actuelles pourraient m’amener à reconsidérer ce choix. Ce serait un défi de me constituer un nouveau réseau professionnel ex nihilo. Si j’ai moins d’affinités avec le doublage, c’est notamment parce que je suis passionnée par l’écrit. Je ne regarde que des films et séries en VOST, hormis certains doublages que j’ai adorés, comme celui de Medium diffusé sur M6. En sous-titrage, j’aime la contrainte de la place et l’obligation d’être synthétique. Pour moi, cela a un effet libérateur : cela pose un cadre, oblige à faire des choix et à affiner sa compréhension.

Vous est-il déjà arrivé d’accepter des baisses de tarif ?

Après avoir réalisé la traduction et l’adaptation de quatre saisons d’une même série, mes consœurs et moi avons appris que le client souhaitait baisser le tarif de 25 %. Nous avons refusé, mais le labo a tout simplement continué avec une nouvelle équipe. Ça m’a fait mal au cœur. Quand un studio nous confie une série, on pense avoir l’assurance de travailler sur les saisons suivantes, mais accepter une baisse de tarif revient à se dévaloriser. En comparaison, j’avais un meilleur niveau de vie en début de carrière quand je me consacrais à la voice over. Aujourd’hui, je trouve éprouvant de travailler en ayant peur pour l’avenir.

Les tarifs baissent, pourtant une adaptation est une activité hautement intellectuelle. De fait, pensez-vous que les auteurices possèdent une plasticité cérébrale supérieure ?

L’adaptation s’avère un travail très exigeant sur le plan cérébral. Cette activité demande d’anticiper et de réaliser une lecture sur de multiples niveaux en simultané : il faut envisager son texte sur les plans technique et linguistique, mais aussi balayer tous les sens possibles, corriger les fautes, se mettre à la place du spectateur, s’adapter au type de programme, à son binôme qui préfère telle expression à telle autre, adopter le point de vue de ceux et celles qui nous relisent... Cela rassemble plusieurs disciplines en une seule activité. C’est épuisant, même quand on reste assis sur une chaise toute la journée ! Et même si ce n’est pas une preuve de plasticité cérébrale, lorsque je discute avec quelqu’un qui cherche ses mots, il m’arrive très souvent de trouver en premier. Systématiquement, on me répond « C’est exactement ce que je voulais dire ! »

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