Rencontre avec Sabrina Boyer

Prix de l’Extra bille 2025

En créant le collectif d’auteurices de doublage, vous êtes devenue porte-parole – avec 5 autres confrères et consœurs – d’une centaine de professionnel·les. Avez-vous eu peur d’échouer ?

Au contraire ! Je me suis sentie portée par tous les signataires de la lettre. La grande majorité nous a encouragé·es et soutenu·es. C’était la première fois qu’un tel collectif était lancé, aussi nous ne savions pas quels résultats en attendre. Finalement, nous avons été écouté·es par Dubbing Brothers et notre collectif a remporté les avancées les plus importantes, avec une revalorisation des tarifs et la rémunération des vérifications. Cela a incité ceux et celles qui avaient initialement hésité, à soutenir les autres collectifs qui se sont successivement créés.

Il faut dire que cette mobilisation est arrivée au bon moment : les laboratoires nous appelaient toutes les semaines pour de nouveaux projets, au point de devoir en refuser régulièrement. Dans ces conditions, il devenait plus embarrassant pour le studio de ne rien céder. Surtout que les tarifs n'avaient pas évolué depuis plus de 20 ans. Malheureusement, nos collègues du sous-titrage n’ont pas obtenu les mêmes revalorisations. J’ai été extrêmement déçue pour toutes et tous. Il faut dire que le sous-titrage est souvent le parent pauvre de la profession. La VOST est plus facilement délocalisable. Tandis qu’en doublage, si le texte se révèle de piètre qualité en studio, cela provoque des conséquences en cascade sur le DA et les comédien·nes. Ce serait inacceptable. Aujourd’hui, vu la morosité ambiante, il n’est plus question de parler de rémunération…

Crédit photo : Brett Walsh

Lors de ce bras de fer, avez-vous menacé le labo de faire grève ?

Nous l’avons sous-entendu. Pas de manière agressive, mais la phrase a été prononcée lors de la première réunion. Mais, comme nous avons été écouté.es, il n’a pas été nécessaire d’aller sur ce terrain. C’est pour cette raison que nous incitions les signataires à être nombreux·ses. Le labo n’aurait jamais pu blacklister massivement une centaine de collaborateurs et collaboratrices.

Toustes les signataires étaient-iels d’accord pour engager une grève en cas d’échec des négociations ?

Cela a été évoqué, mais chacun·e défendait sa propre position. Si nous avions dû aller jusque-là, il aurait probablement été délicat de fédérer l’ensemble des signataires pour qu’iels acceptent de poser le stylo, même temporairement. Mais signer la lettre nominativement constituait déjà un acte courageux.

Vous avez contacté uniquement les auteurices de Dubbing Brothers. A-t-il été ardu de les convaincre de rejoindre le mouvement ?

Certain·es auteurices débutant·es craignaient de se « griller ». Ce que je peux comprendre… D’autres, plus expérimenté·es, redoutaient de se mettre à dos les chargé·es de projet. Enfin, quelques adaptateurices ont refusé de signer considérant que nous faisions fausse route, que nous n’employons pas la bonne méthode... Selon iels, il n’y avait pas de raison de « viser » uniquement Dubbing Brothers, alors que la question concernait l’ensemble des labos. De notre point de vue, cela nous paraissait tout particulièrement cohérent d’adresser nos revendications au plus grand labo de doublage français. Nous espérions ainsi entraîner les autres studios dans son sillage. Quoi qu’il en soit, plus le nombre de signataires augmentaient, plus nous emportions l’adhésion des auteurices qui hésitaient.

À l’époque vous travailliez peu pour Dubbing Brothers. Malgré cela, vous êtes-vous sentie légitime pour négocier au nom de vos confrères et consœurs ?

Et pour cause ! C’est peut-être ce qui m’a donné l'impulsion ! Dubbing Brothers ne s’inscrivait pas parmi mes principaux clients, je ne perdais donc rien à risquer le tout pour le tout. À l’inverse, Dubbing Brothers était le client quasi-exclusif de Nadine [Giraud, corécipiendaire de l’Extra bille 2025, ndlr]. Mais, cela a fait de nous un duo très intéressant, car Nadine possédait la vision historique de la relation avec le labo.

Êtes-vous fière d’avoir remporté cette victoire ? Et également d’avoir été couronnée de l’Extra bille ?

La centaine de signataires a bénéficié de cette revalorisation, mais pas seulement ! Tous les auteurices travaillant pour Dubbing Brothers ont vu leur chiffre d’affaires augmenter. Alors, je me dis que nous avons quand même contribué à améliorer la vie de nombre de collègues. C’est gratifiant. Et certain·es sont venu·es nous remercier : c’est toujours sympathique à entendre.

L’esprit de camaraderie s’inscrit profondément chez vous. Même votre site internet dispose d’un onglet « Sites amis » proposant des liens vers les sites de collègues adaptateurices.

Cela m’a paru naturel de recommander les consœurs et confrère avec qui j’ai partagé des bureaux pendant de longues années – jusqu’à mon départ à La Rochelle. Nous avons toujours fonctionné en bande. Ce sont des professionnel·les sérieux·ses avec qui je prends plaisir à travailler. Certain·es disposent de combinaisons de langues différentes des miennes, aussi c'est une manière de les coopter ou de proposer un possible travail en binôme.

Partager un loyer représente un luxe pour nombre d'auteurices, mais pour nous cela relevait de la santé mentale. Il semblait essentiel d’être entouré·es de personnes possédant les mêmes valeurs professionnelles avec qui échanger sur des questions de traduction ou simplement partager nos déboires…

Graphisme : Nadia Diz Grana
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