Rencontre avec Nadine Giraud

Prix de l’Extra bille 2025

Vous avez reçu l’Extra bille 2025 pour avoir mené des négociations auprès de Dubbing Brothers pour la revalorisation des rémunérations des auteurices de doublage. Pourtant, vous travaillez depuis toujours pour cette société de doublage qui est votre principal client.

Dans le milieu des année 90, j’ai connu le milieu du doublage grâce à une amie, elle-même adaptatrice. Et je dois effectivement beaucoup à Dubbing Brothers, où j’ai appris la détection, sous la supervision de détecteurices expérimenté·es. En tant qu’intermittente du spectacle, cette activité m’a permis de gagner ma vie et de me familiariser avec l’image et ce secteur d’activité. Après 2-3 années de détection, grâce aussi aux bonnes rencontres faites à Dubbing Brothers, j’ai pu mettre à profit ma formation d’anglais littéraire – et mon expérience de la traduction acquise au cours de mes études – en réalisant ma première adaptation en 1998. Les dessins animés Disney ont fait partie de mes toutes premières commandes. J’ai eu la chance de commencer par des programmes que l’on pourrait qualifier de « prestige ». C’était valorisant. À l’époque, les jeunes auteurices faisaient très généralement leurs armes sur des soaps, comme Les Feux de l’amour. Les enjeux y étaient moindres, et les comédiens de doublage compensaient, connaissant par cœur leur rôle.

Crédit photo : Brett Walsh

Que pensez-vous du fait que beaucoup d’adaptateurices redoutent encore les représailles des labos en cas de revendications ?

Je regrette que nombre d’entre elleux – même celleux qui travaillent beaucoup – craignent d’être écarté·es. Lors de la soirée, un diffuseur m’a même demandé si je travaillais toujours pour Dubbing Brothers, persuadé que j’avais été rayée de la liste de leurs auteurs. Selon moi, c’est un biais cognitif qui risque de se retourner contre la profession. Or, il est urgent d’envisager de nouvelles voies de dialogue et de mieux communiquer. Je suis d’accord avec Mathieu Taïeb [co-dirigeant de Dubbing Brothers, ndlr] qui considère que nous faisons toustes partie de la même équipe et que nous travaillons toustes pour obtenir le meilleur résultat possible. Seulement, dans la réalité, les intervenants restent chacun compartimentés dans leur métier, par exemple, les DA et les ingénieur·es du son d’un côté, les auteurs et autrices d’un autre, et les chargé·es de production au milieu !

Comment auriez-vous réagi en cas d’échec ?

En cas de refus, nous aurions insisté auprès de la direction de Dubbing Brothers, probablement en signalant aux clients (distributeurs, producteurs, diffuseurs) notre démarche. Notre argument aurait été que pour garantir la qualité, ainsi que pour maintenir la motivation et l’efficacité des auteurices, il convient de les rétribuer correctement. Et si j’avais été blacklistée, je pense que je me serais adressée directement à Disney pour qui je travaillais majoritairement. J’aurais escaladé. Mon niveau de vie était en danger et, comme beaucoup de collègues, je ne me considérais plus assez payée pour le travail réalisé. Cela me révoltait. Pourtant, au fil de ma carrière, j’ai fait tous les efforts possibles : je me suis adaptée à toutes les évolutions du métier, je me suis formée aux outils informatiques, je me suis pliée à toutes les conditions de travail… Mais à ce stade, j’ai ressenti une forme de mépris pour mon travail, et une absence de reconnaissance.

Il a été reproché au collectif de ne « viser » que Dubbing Brothers, alors que le problème s’avérait général. Qu’en pensez-vous ?

Lorsque nous avons créé le collectif en 2022, Dubbing Brothers possédait la plus grande part de marché du doublage en France. Comme elle l’indiquait publiquement elle-même, l’entreprise était florissante et en croissance. À qui devions-nous nous adresser, si ce n’était pas au principal acteur du marché français, moteur du secteur ? Certain·es nous répondaient que d’autres studios de doublage proposaient des conditions de travail bien pires. Certes, Dubbing Brothers n’avait pas les tarifs les plus bas, mais ces derniers méritaient largement d’être réévalués, surtout eu égard au nombres d’auteurices concerné·es. Ensuite, n’est-on pas en droit de demander aux leaders d’être exemplaires ? Les sociétés de doublage et les labos n’ont-ils pas aussi le devoir de s’inscrire dans la continuité des valeurs de leurs clients, comme Disney qui prône l’égalité des chances, quel que soit le statut. Selon moi, notre approche était cohérente.

Les rémunérations n’avaient pas évolué depuis 25 ans. Pourquoi avoir tant attendu pour revendiquer des augmentations ?

À une époque, nous touchions davantage de droits d’auteur par la Sacem, ce qui « compensait » en quelque sorte l’absence d’augmentations. Depuis, cette part de revenus a considérablement chuté, avec l’apparition de nouveaux diffuseurs ne payant quasiment plus de droits. Les demandes individuelles de revalorisation n’aboutissant pas et, les auteurices freelance travaillant chez elleux, il s’avérait difficile de se concerter. Ce sont finalement les réseaux sociaux qui ont rendu possible la création d’un collectif. En parallèle, l’influence – désormais acquise – de l’ATAA, du Snac et de l’UPAD, nous a permis de nous faire entendre.

Hormis la question des rémunérations, qu’est-ce qui perturbe le plus votre activité ?

En 2020 et 2021, après la pandémie de COVID, nous avons connu une gigantesque vague de projets. Sur toute la chaîne de post-production, il manquait de collaborateurs et collaboratrices, notamment en détection et en adaptation. Comme nombre de collègues, je devais refuser des projets presque toutes les semaines. Mais, depuis plus d’un an, tout cela s’est tari. En 2024, j’ai finalement très peu travaillé… Précédemment, les séries pouvaient compter des saisons de 22 épisodes. Ce n’est plus le cas, hormis pour de rares exceptions. Les auteurices disposent ainsi d’une visibilité réduite sur leur activité. De même, les politiques des plateformes évoluent bien plus rapidement que celle des diffuseurs traditionnels. Ainsi, la demande du marché devient totalement imprévisible. Cycliquement, nous connaissons des périodes creuses. Lorsque nous nous rendions encore dans les studios de doublage, il demeurait possible d’estimer leur activité : les bureaux étaient-ils calmes ou en pleine effervescence ? Croisait-on beaucoup de comédiens dans les couloirs ? Désormais, il nous manque encore plus cette vision d’ensemble nécessaire à la compréhension des phénomènes qui influencent notre secteur. Notamment, pour exprimer les bonnes demandes, au bon moment.

Que pensez-vous de la menace de l’intelligence artificielle ?

Malgré l’arrivée de l’IA, le doublage existera encore un certain temps, mais dans une précarité grandissante. Par ailleurs, j’observe déjà une forme d’appauvrissement créatif dans les contenus proposés. Aujourd’hui les programmes collent encore plus aux lois du marketing et de la standardisation, et s’avèrent moins originaux. Pourtant, certaines productions réunissent tous les ingrédients : acteurices bankables, réalisateurices de renom, etc. Malgré cela, le résultat se révèle plutôt plat et raté. À l’avenir, j’espère seulement que les spectateurices se rendront compte que la dimension créative est primordiale.

Graphisme : Nadia Diz Grana
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