Rencontre avec Hervé Rony, directeur général de la Scam - Partie 2

« Il n’y a pas lieu de discuter de droits d’auteur pour une œuvre générée à 100 % par une intelligence artificielle. Pour les œuvres hybrides, la situation devient plus complexe. Même s’il y a intervention humaine, est-elle suffisante pour justifier des droits d’auteur ? C’est toute la question. »

Lire la première partie de l'entretien

Crédit photo : Brett Walsh

L’encadrement de l’IA est-il déjà anticipé dans les contrats et les négociations que la Scam mène actuellement ?

Pour l’instant, il n’y a pas de clauses spécifiques dans les contrats généraux passés avec les diffuseurs. D’autant que ces derniers ne sont pas directement concernés par la question. Nos contrats leur permettent d’exploiter notre répertoire mais à charge pour nous de qualifier les droits redevables et de les répartir correctement. En revanche, nous observons une vigilance nouvelle de la part des producteurs qui ne veulent pas être trompés sur le travail des réalisateurs et des auteurs qui auraient indûment recours à l’intelligence artificielle. À l’inverse, il faut aussi éviter une pression excessive des producteurs qui inciteraient à un usage abusif de l’IA. C’est pourquoi nous négocions actuellement une clause spécifique sur l’IA qui sera, à l’avenir, intégrée à tous les contrats de production d’auteurs. Du côté de la fiction, la SACD a déjà mené des discussions avec les syndicats de producteurs afin de rédiger une clause-type sur l’utilisation de l’IA.

Récemment, des traducteurs de fiction ont déposé des œuvres traduites par IA pour lesquelles ils avaient réalisé un travail de post-édition. La Sacem les a, pour le moment, bloquées afin de mener une réflexion. Qu’en est-il à la Scam ?

Nous n’avons pas encore été confrontés à cette situation, mais nous comprenons ce blocage. Une seule certitude : il n’y a pas lieu de discuter de droits d’auteur pour une œuvre générée à 100 % par une intelligence artificielle, sans intervention humaine. En revanche, pour les œuvres hybrides, la situation devient plus complexe. Même s’il y a intervention humaine, est-elle suffisante pour justifier des droits d’auteur ? C’est toute la question. Être auteur signifie avoir créé une œuvre originale marquée par sa personnalité. Lorsqu’un texte est revu, corrigé ou réorganisé, cela suffit-il pour revendiquer un statut d’auteur ? Même si je ne pars pas du principe que ce travail n’aurait aucune valeur… C’est d’ailleurs toute l’ambiguïté de l’IA.

[Les auteurs] ont une relation ambivalente avec l’IA : ils savent qu’elle peut leur faire gagner du temps, mais ils ne veulent pas pour autant être dépouillés de leur rôle créatif.

Rencontre avec Hervé Rony, directeur général de la Scam - Partie 1

« Nous renégocions en permanence nos accords avec les diffuseurs. Au début, cela m’inquiétait beaucoup. Mais avec le recul, cette souplesse se révèle aussi à notre avantage […]. Aujourd’hui, si Disney produit très peu de documentaires, rien n’indique qu’ils n’en feront pas pléthore dans dix ans. »

Vous dites souvent que le nombre fait la force. En quoi la présence des traducteurs dans le répertoire audiovisuel aide les négociations avec les diffuseurs ?

Lors d’une négociation, nous représentons les réalisateurs et les auteurs de documentaires, mais également les traducteurs. Ce point se révèle fondamental, car ces derniers nous confèrent plus de poids. Par exemple, lors de nos premiers échanges avec Netflix, la réaction de la plateforme américaine a été de contester les demandes de la Scam, argumentant que notre organisation ne représentait que quelques documentaires français, quantité négligeable de leur catalogue. Ils ne nous prêtaient aucun crédit, jusqu’à ce qu’ils comprennent que nous représentions aussi plus de 1 000 traducteurs – potentiellement adaptateurs de leurs documentaires étrangers –, et que ces derniers s’avéraient aussi être des auteurs. Cette position nous renforce donc mutuellement. Comme lors de nos négociations avec National Geographic Channel qui est une des chaînes qui diffusent le plus de documentaires internationaux, ou encore avec Prime Video avec qui nous avons signé un accord cette année, après d’âpres négociations.

Notre plus grand levier est la menace de procès en contrefaçon.

La grande enquête

La SCAM vient de publier les résultats d’une enquête socio-professionnelle consacrée aux traductrices et traducteurs de l’audiovisuel.

English version.

Le questionnaire a été élaboré en partenariat avec l’ATAA et le SNAC (Syndicat National des Auteurs-Compositeurs). C’est une grande première pour nos métiers et il y a fort à parier qu’elle fera date. L’ATAA s’est efforcée de diffuser le plus largement possible ce questionnaire, afin que l’enquête soit la plus représentative de toutes les branches de nos métiers (doublage, sous-titrage, etc.). 528 personnes y ont répondu, ce qui est très positif. C’est le signe que cette enquête arrivait à point nommé.