Vous dites souvent que le nombre fait la force. En quoi la présence des traducteurs dans le répertoire audiovisuel aide les négociations avec les diffuseurs ?
Lors d’une négociation, nous représentons les réalisateurs et les auteurs de documentaires, mais également les traducteurs. Ce point se révèle fondamental, car ces derniers nous confèrent plus de poids. Par exemple, lors de nos premiers échanges avec Netflix, la réaction de la plateforme américaine a été de contester les demandes de la Scam, argumentant que notre organisation ne représentait que quelques documentaires français, quantité négligeable de leur catalogue. Ils ne nous prêtaient aucun crédit, jusqu’à ce qu’ils comprennent que nous représentions aussi plus de 1 000 traducteurs – potentiellement adaptateurs de leurs documentaires étrangers –, et que ces derniers s’avéraient aussi être des auteurs. Cette position nous renforce donc mutuellement. Comme lors de nos négociations avec National Geographic Channel qui est une des chaînes qui diffusent le plus de documentaires internationaux, ou encore avec Prime Video avec qui nous avons signé un accord cette année, après d’âpres négociations.
Pourriez-vous nous expliquer comment se déroulent généralement les négociations avec les diffuseurs internationaux ?
Pour commencer, les plateformes internationales refusent tout simplement d’échanger avec nous. Ensuite, s’amorce un long processus où nos interlocuteurs cherchent à gagner du temps. Ils prétendent que leurs actionnaires ne comprennent pas le rôle de notre organisation ; ils nous demandent de réexpliquer longuement ce qui détermine le statut d’auteur, ce qui définit un documentaire, les raisons pour lesquelles ils seraient redevables de droits d’auteurs… De manière générale, les plateformes internationales minimisent nos répertoires, ou réfutent tout simplement nos revendications. Ces discussions peuvent ainsi durer entre six et huit mois. Mais finalement, cette approche dilatoire ne les mène à rien : les droits sont rétroactifs, et les plateformes doivent se conformer à notre Code de la propriété intellectuelle. Notre plus grand levier est la menace de procès en contrefaçon. Si elles ne signent pas d’accord avec la Scam, cela signifie que les plateformes diffusent des contenus sans autorisation et s’exposent ainsi à des poursuites. Pour eux, cela représente une véritable épée de Damoclès. Nous avons rarement besoin d’aller en justice, mais nous ne lâchons rien ! Que ce soit avec Meta ou YouTube, nous avons fini par signer de bons accords. Cela prend du temps, mais nous avançons.
Au-delà du fait que les diffuseurs feignent de ne pas comprendre leurs obligations en matière de propriété intellectuelle, le fonctionnement du droit d’auteur ne se révèle-t-il pas compliqué ?
La complexité du droit d’auteur est une réalité. Beaucoup de détracteurs nous le disent. J’ai souvenir du directeur des achats de Canal+ qui renégociait son contrat avec nous, dans des conditions que je qualifierais de « sportives ». Ce n'était pas le directeur juridique, mais bien le directeur des achats qui menait ces négociations, ce qui en dit long sur la manière dont Canal+ considérait à l’époque la question des droits d’auteur. Après moult échanges, il a fini par admettre que la règlementation sur le droit d’auteur lui semblait bien complexe, et qu’il ne s’agissait pas d’une simple transaction commerciale. Il a compris qu’il s’agissait d’un cadre bien plus structuré, nécessitant du temps et de la réflexion. En effet, nous ne sommes pas aux États-Unis, où le modèle fonctionne sur le principe du buyout, c'est-à-dire que l’acheteur acquiert tous les droits pour une durée donnée. Même si un producteur détient un catalogue d’œuvres, il doit toujours passer par une société de gestion collective (comme la SACD ou la Scam) pour les diffuser. Cela peut être frustrant pour les producteurs, qui se voient ainsi privés d’un contrôle total sur leur catalogue…

Plus concrètement, comment sont calculés les montants de droits redevables par les diffuseurs ?
Nous négocions avec les diffuseurs l’exploitation de notre répertoire ; et plus concrètement, le taux de rémunération qui s’appliquera en fonction du pourcentage d’utilisation du répertoire de la Scam. Par exemple, si une chaîne de télévision – en diffusion linéaire – utilise entre 12% et 16%1 du répertoire de la Scam, elle paiera 1% de son chiffre d’affaires à la Scam. Le barème est progressif : plus un diffuseur utilise notre répertoire, plus il contribue financièrement. Sauf au-delà de 50% d’utilisation où un taux fixe de 3% s’applique pour les chaînes de télévision.
Une fois ce taux négocié, un chiffre d’affaires global est établi pour l’ensemble du répertoire, et il nous revient ensuite de répartir ces droits auprès des auteurs. Un double mécanisme se met en place : premièrement, les auteurs déclarent leurs œuvres ; deuxièmement, nous croisons ces déclarations avec les informations de diffusion fournies par les chaînes. Ensuite, la répartition des droits se fait par diffuseur, et non via un pot commun. Certains auteurs pensent, à tort, que nous pourrions transférer des fonds d’une chaîne à une autre – par exemple, utiliser les revenus générés par TF1 pour rémunérer des auteurs dont les œuvres sont diffusées sur Arte. Or, cela est impossible : chaque diffuseur rémunère uniquement les auteurs diffusés sur son antenne. Même au sein de France Télévisions, la répartition est cloisonnée par chaîne : France 2, France 3 et France 5 ont chacun leurs propres couloirs de financement.
Avec l’essor des plateformes et la montée du visionnage non linéaire, ces modèles pourraient évoluer à l’avenir. Aujourd’hui, nous distinguons encore les tarifs linéaires et non linéaires mais cette séparation pourrait être amenée à changer. Enfin, concernant les traducteurs, leur rémunération est indexée sur celle de l’œuvre principale : ils perçoivent 10% du tarif de l’auteur du film. Ainsi, si un documentaire est rémunéré à 100 %, le traducteur recevra 10 % de cette valeur par minute, ce qui génère des rémunérations intéressantes.
Quelles autres divergences rencontrez-vous lors des négociations avec les diffuseurs ?
Un des autres freins que nous rencontrons concerne le mode de calcul des droits : certains diffuseurs souhaiteraient un fonctionnement au forfait plutôt qu’au pourcentage. D’autres voudraient payer en fonction du succès de chaque œuvre. Et ce, alors même que nous avons toujours considéré que la rémunération devait se baser sur un pourcentage du chiffre d’affaires global, et non sur l’audience individuelle de chaque documentaire. Mais la pression augmente. D’autant que certaines chaînes traditionnelles sont tentées de défendre aussi cette logique sachant qu’elles-mêmes négocient les prix d’achat de leurs programmes en fonction de l’horaire de diffusion.
Avec le passage du linéaire au non linéaire, la question des grilles tarifaires va donc devenir un enjeu grandissant. Aussi, je le répète : nous sommes amenés à évoluer et à nous adapter. De même que les auteurs doivent désormais accepter que ces modèles évoluent plus fréquemment. Parfois, il faut savoir faire quelques concessions pour rester en phase avec le marché. C’est pour cette raison que nous avons amorcé une réforme des tarifs, lesquels prennent désormais en compte les carrefours horaires. Et, même si notre prime time est très étendu – de 20h à 1h du matin – cela représente une petite révolution pour la Scam.
Lors d’un de vos discours à la cérémonie du Prix de la traduction de documentaires de l’ATAA, vous indiquiez que la durée des accords se réduisait. Pourquoi une telle évolution ?
L’économie s’avère instable et la concurrence de plus en plus forte. Avec TF1, nous venons de renégocier un accord qui datait de… 1987 ! Et il faut bien reconnaître que cela n’avait plus de sens. Aujourd’hui, nos accords sont valables trois ans, renouvelables chaque année. En réalité, nous renégocions en permanence, que ce soit avec YouTube, Meta et d’autres… Cela ne s’arrête jamais ! Au début, cela m’inquiétait beaucoup. Mais avec le recul, cette souplesse se révèle aussi à notre avantage, notamment parce que leur modèle économique évolue. Aujourd’hui, si Disney produit très peu de documentaires, rien n’indique qu’ils n’en feront pas pléthore dans dix ans.