
"Pour vous" 8 mars 1939
Avertissement
L’article qui suit est un témoignage d’un auteur de doublage sur son travail tel qu’il se pratiquait à la fin des années 1930. Cependant, il constitue aussi un témoignage sur l’atmosphère qui régnait dans l’industrie du cinéma français depuis le début de cette décennie.
Avant de parler concrètement de son travail, Paul Reboux se livre, en effet, à une caricature xénophobe, et implicitement antisémite, des conditions dans lesquelles se serait pratiqué le doublage à ses origines. Historiquement et techniquement, ces propos sont dépourvus de réalité. La presse spécialisée de l’époque en témoigne, y compris l’hebdomadaire Pour Vous dont est issu ce texte.
Opposant ceux qu’il appelle les « polyglottes d’Europe centrale » aux « gens de goût et de bon sens », il était loin d’être le seul à tenir de tels propos. Au début des années 1930 déjà, Marcel Vandal, alors président de la Chambre syndicale de l’industrie du cinéma français, défendait la réalisation du doublage des films étrangers sur le territoire français afin d’éviter, selon lui, qu’il fût effectué par « les chômeurs d’Hollywood ou les déserteurs de Berlin ». (« Lettre de réponse de M. Marcel Vandal », La Cinématographie française, n° 818, 7 juillet 1934, p. 6. Il s’agit d’une réponse à Harry-James, président de l’Association des acteurs de synchronisation, qui avait préalablement dénoncé le manque de respect de M. Vandal pour les comédiens de doublage.)
Le doublage n’était pas la seule activité cinématographique à être mise en cause de manière aussi odieuse. Tous les secteurs du cinéma français étaient concernés. L’un de ceux qui eurent le plus à en souffrir fut le producteur Bernard Natan, dirigeant de Pathé de 1929 à 1936. Il ne survécut pas aux calomnies, à un procès qui le condamna, à sa déportation à Auschwitz.
Il nous a semblé utile de reproduire cet article dans son intégralité, sans en tronquer le premier paragraphe malgré son contenu détestable.
L’article qui suit est un témoignage d’époque d’un auteur de doublage sur son travail.
Pour en savoir plus sur le doublage, lire le texte disponible sur le site de l’ATAA (partiellement repris dans l’article Doublage de Wikipédia).
L’auteur : auteur de romans, d’études historiques, Paul Reboux (1877 – 1963) est surtout connu pour ses pastiches (A la manière de…, 5 volumes parus entre 1908 et 1950), dont les premiers ont été co-écrits avec Charles Muller.
La revue : voir la fiche de l’article Doublage… or not doublage.
Le casse-tête du doublage
Paul Reboux
Pour Vous n°538, 8 mars 1939.
Il fut un temps où doubler un film consistait simplement à faire traduire le texte de Hollywood en français par un de ces polyglottes d’Europe Centrale qui pullulent dans les organisations cinématographiques.
Il en résultait une sorte de jargon, ou du moins un texte où l’on aurait pu cueillir les fautes de français pour les rassembler en bouquet.
De plus, ce texte était joué par des comédiens qui avaient adopté, on ne sait pourquoi, une façon spéciale de parler, aussi artificielle que le sont les intonations des orateurs politiques.
Ajoutez à cela que l’on n’était pas encore très fixé sur la concordance de certaines consonnes et sur le nombre de syllabes. Si bien que l’on voyait des personnages, sur l’écran, remuer les lèvres, sans entendre un son. D’autre part, certains d’entre eux parlaient, bien qu’ils eussent les lèvres fermées, à la façon des ventriloques.
Il est naturel que ces défauts aient alors braqué contre le doublage les gens de goût et les gens de bon sens.
Mais le doublage a fait maintenant de tels progrès que, bien des fois, l’illusion est complète.
Aussi est-on mal fondé à se dresser contre ce procédé. Grâce à lui, il nous est permis de comprendre certains films à grand spectacle, ou certains films qu’il nous serait pratiquement impossible de réaliser chez nous.
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